Un nom revient: Lagarde.
Elle a tout, dit-on. L’expérience, l’autorité, la diplomatie, le parcours nécessaires. Bien que l’idée puisse remonter les tenants d’une représentation plus forte des nouvelles puissances économiques émergées – d’Amérique du Sud, d’Asie, d’Afrique, et autres BRIC – aux directoires des grandes institutions internationales, l’option française Lagarde, pour prendre en charge la direction du FMI à la suite de Dominique Strauss-Kahn, semble recueillir des avis très favorables et faire le consensus.
Sans nécessairement se voir taxer de chauvinisme outrancier, reconnaissons le, ce serait un orgueil, tout de même ! En tout cas, une belle preuve que la France garde dans le monde une influence et un aura certains. D’aucuns y verront le chant du cygne de la diplomatie française – à la manière du groupe Marly essayant, le mardi 8 février dans une tribune au Monde, de rendre cette empreinte laissée par la France dans les enjeux politiques internationaux, ridicule et décadente, à des fins politiques – mais cette perspective n’en reste pas moins, selon nous, la preuve triomphante du contraire. Cette perspective est réjouissante en premier lieu, parce que nous savons Mme Lagarde sage et profondément diplomate, ayant construit avec brio une carrière impressionnante fondée sur l’intelligence et à l’acuité, nous l’avons dit, mais, surtout, parce qu’il est plus rassurant de voir, à la tête de l’institution, une européenne empathique mais réaliste face à la crise grecque (de l’issue de laquelle dépend la stabilité de l’euro et l’avenir de l’Europe) plutôt qu’un non européen.
Pourtant le ciel radieux de cette situation s’est fortement assombri. Par quoi ? L’affaire Bernard Tapie.
Affaire fort complexe : quinze années de procédures judiciaires intentées par l’homme d’affaires contre l’Etat suite à la liquidation de Groupe Bernard Tapie entre 1992 et 1993 et la vente litigieuse d’Adidas – Tapie disait avoir été floué par le Crédit Lyonnais sensé être son partenaire. Le 11 juillet 2008, le rendu de la décision du tribunal arbitral, composé par trois juristes de renom, sonnait la fin des hostilités. En effet, il condamnait le Consortium de Réalisation – en charge de la gestion du passif du Crédit Lyonnais – à verser 390 millions d’euros aux époux Tapie, dont 45 pour préjudice moral.
Deux choses choquèrent après coup. On comprend moins l’une que l’autre. Tout d’abord, le mode de règlement du conflit : un tribunal arbitral. Pas de quoi faire un fromage, je ne suis pas juriste, on pourra toujours trouver des vices de forme dans la décision, mais, soyons honnête, ce feuilleton allait-il encore durer dix ans, vingt ans ? Un règlement « à l’amiable » était, selon nous, et même si le raisonnement semble léger, une honorable décision.
Ce qui se comprend moins vient de ce que la décision des trois juges, favorable à Tapie contrairement aux précédentes décisions de la justice, n’ait pas pousser le ministère des Finances à interjeter appel. Le CDR, organisme appartenant à l’Etablissement Public de Refinancement et de Restructuration, donc à l’Etat, aurait dû, au moins pour la forme, contester cette décision – les 45 millions d’euros pour préjudice moral méritaient bien un approfondissement et une confirmation…
Bref, un petit groupe de députés socialistes se sont emparés de l’affaire et sont bien décidés à ce que la Ministre Lagarde, en charge du dossier, réponde, devant la justice des ministres en exercices, de ses « décisions » engageant les deniers publiques. Ces Fouquier-Tinville, tenant d’une « morale d’embrayage », à plusieurs vitesses, se sentent sûrement encore inspirés par Robespierre ou Jospin et, ainsi, portés par un désir irrépressible de République irréprochable – emprunt sarkozyste –, de justice triomphante et de dénonciation du copinage – c’est ce qui sous-tendent les poursuites engagées – mais ils s’attaquent, malheureusement, à la mauvaise personne.
Que Lagarde ait été peu regardante dans toute cette histoire – ses déclarations dans la presse concernant les montants en donnent la preuve –, soit, mais n’avait-elle pas bien d’autres dossiers légèrement plus prenants à même époque ? On lit dans le Nouvel Obs qu’elle n’a fait que suivre, de loin, les suites d’un processus engagé avant son arrivée à Bercy… par Jean-Louis Borloo ! Et dont le suivi fut assuré par Stéphane Richard, actuel patron d’Orange, qui fut précédemment le directeur de cabinet de Borloo.
Et oui ! Et Borloo, qui n’a jamais fini d’être le plus remarquable centriste de la terre, le plus grand radical (voir articles : ici ou là), en somme le plus impénitent des sauceurs de sa génération, n’était naturellement autre que l’avocat de Tapie, en ces temps lointains ? Sans vouloir faire de faux procès, avouons que le fruit du hasard apparaît légèrement blet…
On entend mieux pourquoi le dispositif a été mis en place alors qu’il était au Ministère des Finances. On comprend mieux pourquoi Lagarde n’a pas fait montre d’empressement au sujet de ce dossier puisqu’il était largement engagé lors de sa prise des commandes. On comprendra aussi aisément que face à la chute de Lehmann, à la faillite de Bear Stern, et à la crise des subprimes, son temps dédié au solde de l’affaire Tapie n’ait pas été gigantesque… ce qui se révèle avoir été une erreur. Prise au piège Lagarde. Pas assez politique Lagarde. Et tout cela, toute cette affaire ne vient que corroborer ce que nous démontrons depuis le début de ce blog et ce que, de l’extrême droite et l’extrême gauche fustigent à des fins haineuses – contrairement à nous qui en rions: 1. Que les sauceurs-copains-coquins s’en donnent à cœur-joie dans les dépendances de la République, 2. Qu’ils festoient et font bombance, roués aux us culinaires et républicains, agiles et habiles comme des chats par temps de disette, 3. Que nos chevaliers de la légion d’honneur, ayant troqué l’amour de l’odeur du sang chaud sur les champs de bataille pour le fumet de la grand veneur, n’ont pour épée au fourreau, plus qu’un croûton à l’ail, 4. Que la rapidité de ces « spadassins des cocktails » à le dégainer, ce croûton, n’a d’égales que l’agilité déployée pour s’approcher toujours plus prêt du buffet de Marianne et l’habileté qu’ils démontrent à le tremper sans qu’il ne goutte…
Le souci dans cette histoire, relent nauséabond des années politicardes et sulfureuses de la gauche mitterrandienne comme de la droite chiraco-sarkozienne, c’est qu’elle ne fera pas qu’une victime, en règle générale la brebis innocence qui cache le troupeau de loups, mais deux : Lagarde et… une assurance de sursis pour la Grèce et l’Europe, rien de trop.
Mais que voulez vous ma bonne dame, la sauce nationale à ses raisons que la sauce internationale ignore… C’est lamentable mais c’est ainsi.