Chronique d’un règne…
Posté par albenitz le 18 avril 2011
Par Albénitz
Bien sûr, on aurait des tas de raisons de détester Franz-Olivier Giesbert. Le cumulard médiatique, la réussite insolente, le bellâtre à l’œil roucoulant, l’homme de réseau, le rastignac touche-à-tout, les façons trop lisses. Une sorte d’anti-Zemmour, souple et un peu inconsistant, qui observe les grands fauves politiques avec un sourire amusé sans jamais se mouiller, tout en prenant soin de les fréquenter assidûment.
Oui, mais voilà, le bonhomme « FOG « a du talent. Et si le genre du livre politique est un creuset de la mauvaise littérature, il faut bien reconnaître que ses bouquins font exception. D’abord parce qu’il manie une plume aiguisée, vive et parfois jubilatoire, pour épingler comme un collectionneur de papillons les hommes de pouvoir qu’il fréquente depuis plus d’un quart de siècle. Ensuite parce que ses méthodes de biographe, sans doute contestables du point de vue de la déontologie, font de lui un des chroniqueurs les mieux renseignés de l’arène politique. Bien sûr, exhumer tous les dix ans ses carnets de notes sur lesquels on a consigné des confidences « off », recueillies à grands coup de dîners en ville, c’est moche. Mais sans la rouerie de FOG et de quelques autres , le lecteur n’aurait jamais l’occasion de pénétrer aussi en avant dans les coulisses du pouvoir, là où l’on distille les phrases assassines et où l’on tombe –de manière plus où moins calculée – le masque.
Son dernier livre « M. Le Président – Scènes de la vie politique 2005-2011 » ne décevra pas les amateurs du genre. Le « Joinville du sarkozysme », comme l’a joliment appelé Jean-François Kahn, y brosse un portrait saisissant du Président de la République et de ses proches. Il jette sur son sujet une lumière crue, mais sans cruauté excessive, la même dont il avait éclairé Mitterrand et Chirac, donnant à voir leur grandeur et leurs insuffisances. Au fil des 283 pages foisonnantes d’anecdotes, on découvre un Sarkozy complexe : colérique, tyrannique avec son entourage, séducteur, fasciné par l’argent, versatile, égotique, plein de lui-même, avide de reconnaissance, brutal, sans réelles convictions, enfantin jusqu’au grotesque mais aussi hypersensible, amoureux transi, écorché vif, séduisant, doué d’une énergie et d’une intelligence hors du commun. Tenant à la fois de Napoléon et d’Adolphe Thiers, « Hercule de l’égotisme » et « Homère de l’éloquence », le Président est « un prototype surdoué et une attraction considérable dans un vieux pays fatigué dont l’activité principale, ces dernières années, a surtout considéré à regarder passer les trains ».
En bon élève de Saint-Simon qu’il révère, Franz-Olivier Giesbert n’oublie pas de décrire, souvent avec drôlerie, la Cour qui gravite autour de cet étrange monarque : la « garde noire », les ministres, les visiteurs du soir. Copé est dépeint en Grand Condé sûr de son destin, Guéant en souffre-douleur stoïque, Fillon en « Père-la Rigueur » aux « sourcils pompidoliens », MAM en « automate toussotant et militaire », Patrick Balkany en « colosse protecteur, extraverti et généreux, typique du juif ashkénaze », etc.
Certains passages ne manqueront pas d’alimenter la légende noire du sarkozysme : ainsi des éructations et des menaces, parfois physique, que le Président réserve à ceux qui ont le malheur de lui déplaire, c’est-à-dire à peu près tout le monde, à commencer par les siens: Boutin est une « connasse », Devedjan un « pauvre con », Hortefeux un « mou », Debré un « salaud », et l’auteur lui-même mérite un « cassage de gueule » lorsque le magazine a osé évoquer la vie sentimentale mouvementée de Carla Bruni.
Mais ces pages révèlent également un leader capable de se sublimer dans la gestion de crise, et dont les coups de bluffs et les manœuvres à la hussarde ont permis à la France de jouer un rôle déterminant pendant la crise financière, le conflit russo-géorgien ou la crise grecque.
Au-delà des faits d’armes et des coups de sangs, FOG s’attarde sur la singularité et l’étrangeté de cet homme si différent de ses prédécesseurs : dépourvu d’ancrage terrien, sans mentor ni père spirituel, Sarkozy se voit comme un déclassé, un éternel « outsider » dans un paysage politique traditionnel où tout le monde partagerait les mêmes codes. Anecdotes à l’appui, notre Joinville insiste aussi sur l’incapacité présidentielle « à maîtriser ses désirs et à contrôler sa parole », qui contraste avec la carapace dont se protégeaient Chirac et Mitterrand : dépourvu de surmoi, « Nicolas Sarkozy est, en vérité, totalement transparent ».
Franz-Olivier Giesbert le reconnaît sans détour : il a été séduit, voire fasciné par cet homme politique sans équivalent. D’une certaine manière, c’est un amoureux déçu, qui déplore à longueur de pages que les qualités de son héros soient gâchées par son inconséquence, son agitation névrotique et son opportunisme. Mais son jugement n’est pas définitif, et le dernier chapitre vient à point nommé pour nous rappeler qu’avec ce personnage insaisissable, il était dangereux de tirer de conclusions hâtives : l’auteur rapporte un entretien en tête-à-tête avec Nicolas Sarkozy, au cours duquel ce dernier le bluffe en étalant une impressionnante culture littéraire. FOG n’en revient pas : « Depuis un quart de siècle que je le fréquente, Nicolas Sarkozy ne m’a jamais laissé entrevoir cet aspect-là de son univers personnel ». Et de conclure: « Telle est la misère du biographe. Il écrit sur de la matière vivante, en devenir permanent ».
Avec Nicolas Sarkozy, il a été servi.
« M. Le Président – Scènes de la vie politique 2005-2011 », Flammarion, 2011
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